En avril 2021, je décidais de mettre volontairement fin à ma carrière d’avocat. En remettant ma démission à l’ordre, j’ai renoncé à faire usage du titre d’avocat et à accomplir les actes de cette profession.
J’ai longtemps hésité avant de m’atteler à l’écriture de cet article. A cause de son potentiel polémique mais aussi parce que je conçois Les Natives comme un pur média d’information et non comme une tribune personnelle.
Puis j’ai réalisé que quiconque entend traiter du syndrome des ovaires polykystiques devra nécessairement se poser la question suivante: le SOPK est-il susceptible d’impacter la vie professionnelle des patientes? A cette question, je réponds mille fois “oui”…
Je vous explique pourquoi dans cet article.
1. “Le verbe et la robe“
Lorsque je pose les yeux sur la toge noire qui trône fièrement dans mon placard entre un perfecto en cuir et une robe Sézane, je me souviens de mon enfance et de l’idée quasi-mystique que je me faisais de la profession d’avocat.
Je la concevais comme une incarnation de puissance, d’autorité et de culture, ce qui chez moi, faisait écho à la nécessité d’apprivoiser la figure du père.
Etudiante en droit, je me représentais l’avocat comme un sorcier, capable d’influer avec ses mots sur le destin de vies ordinaires et de dessiner la société de demain. Je m’imaginais arpentant les prétoires. L’idée de prêter ma voix et mon corps à un inconnu pour le temps d’un procès me fascinait.
Ma trajectoire et mes choix m’ont finalement conduite à exercer la profession sous une toute autre forme, et à consacrer six années de ma vie à la pratique du droit des affaires dans un grand cabinet où il est rare que les avocats se rendent en audience.
Bien que je ne sois pas devenue plaideur, mon métier m’a passionnée. J’ai vécu l’expérience d’être avocat comme un privilège, que je dois à mes parents mais aussi aux heures de travail acharnées que j’ai accumulées pour y arriver.
Obtenir l’examen d’avocat n’a pas été facile. J’ai connu les échecs, appris l’humilité, la résilience aussi. Les longues journées de révision et le stress de l’examen ont eu un impact significatif sur ma santé physique mais aussi sur ma santé mentale. A l’époque, j’ignorais tout de mon diagnostic et poussais donc dans leurs retranchements mon corps et ma psyché sans trop penser aux lendemains. J’y ai laissé quelques plumes…
Aujourd’hui, je peux affirmer sans hésiter que si j’avais connu mon diagnostic et eu en ma possession les outils pour vivre avec, mon expérience n’aurait pas été la même.
En frôlant l’hermine qui orne l’épitoge de ma robe, je me souviens de l’exaltation mêlée de solennité qui s’est emparée de moi lorsque, me tenant face aux magistrats de la cour d’appel, j’ai prêté serment de respecter les principes essentiels de la profession. Je me souviens de l’émotion sur le visage de mes confrères et sur celui de ma mère.
Et mon coeur se serre lorsque soudain, je réalise que j’ai raccroché la robe…
2. Une histoire de guerrières
Bien que le corps judiciaire se féminise de façon exponentielle, les femmes auront mis plus d’un siècle pour arriver à la parité au sein du barreau.
La déclaration universelle des droits de l’homme oublia les droits des femmes. Puis Jeanne Chauvin, première femme à s’inscrire au barreau de Paris le 19 décembre 1900, ouvra la voie à la féminisation de la profession. Les pionnières contribueront à bon nombre d’actions féministes, et ne cesseront de défendre, en dépit de leur propre incapacité civique. Bon nombre de femmes militantes se succèderont au barreau, de Germaine Poinso-Chapuis à Gisèle Halimi, pure figure contemporaine de la lutte pour les droits des femmes. En 1971, elle fut notamment la seule avocate à signer le manifeste des “343” pour le droit à l’avortement.
Alors, pourquoi vous parler de féminisme et de la place des femmes au barreau? Car je suis intimement convaincue que le syndrome des ovaires polykystiques, maladie chronique touchant exclusivement les femmes, pose la question du déterminisme féminin au travail.
En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, la différence biologique entre les femmes et les hommes a justifié une logique de division sexuelle du travail.
“Les femmes ont toujours travaillé“. Leur émancipation s’est cristallisée dans la conquête de l’espace public, lieu de pouvoir et sphère qui fut initialement exclusivement masculine. Cependant, elles n’ont jamais délaissé la sphère privée, si bien que les femmes ont encore aujourd’hui une triple vie à organiser. Femme, mère, avocate, elles deviennent de véritables guerrières du quotidien.
Simone de Beauvoir, l’auteur de Deuxième sexe, a dénoncé en son temps le rôle joué par la répartition des tâches ménagères dans la domination patriarcale. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le ménage, la cuisine, les courses et l’éducation des enfants sont encore largement assumées par les femmes.
Ce partage inégal des tâches de la sphère privée, auquel les avocates n’échappent pas, a nécessairement une incidence sur la façon dont elles exercent leur profession (30 % des femmes avocates quittent la profession avant d’atteindre dix ans de carrière).
Que se passe t’il si vous rajoutez une maladie chronique dans l’équation?
3. Et le job fut l’ennemi du corps
Lorsque je suis devenue avocate, j’ignorais tout de mon diagnostic. Le droit des affaires est une matière difficile, presque “physique”, qui demande de pouvoir réfléchir vite sous pression, malgré la fatigue, et de pouvoir composer avec des clients exigeants et des deadlines serrées. Bon nombre d’avocats, hommes et femmes confondus, travaillent entre 46 et 60 heures par semaine…
J’ai pris mon métier à bras-le-corps. J’y ai littéralement mis de la sueur et des larmes.
Je pense qu’il est possible d’affirmer que l’éducation, lorsqu’elle est illégitimement “genrée”, armera mieux les hommes que les femmes au métier d’avocat, qui exige confiance, audace et force de caractère. Il n’empêche qu’à aucun moment au cours de ma carrière d’avocat, je ne me suis déterminée comme une femme. En outre, j’ai fait mes armes auprès d’un avocat homme qui m’a systématiquement traitée en confrère sans distinction liée à mon sexe.
Et si j’ai pu sentir une charge mentale qui n’était pas forcément partagée par les hommes avec qui je travaillais, je n’ai jamais laissé ce constat prendre le meilleur de moi-même. Je me donnais entièrement à mon travail, sans trop songer à mon équilibre physique ou mental.
Puis, mon diagnostic a changé la donne…
Une fois consciente de la pathologie dont je souffrais, j’ai souhaité ralentir et élaborer un mode de vie destiné à inverser mes symptômes et à reprendre le contrôle. Mes lectures m’ont appris que le stress est un facteur aggravant du syndrome des ovaires polykystiques. Que si l’on veut inverser ses symptômes, il convient de se ménager, de bien manger, et d’adopter une routine sportive régulière et appropriée.
Article relatif: Comment inverser son SOPK – Les 6 principes à connaître
J’ai toutefois rapidement réalisé que cette façon de vivre serait incompatible avec les exigences de ma profession. Après cinq années d’exercice, mon corps m’a lâchée…
Les longues heures passées au bureau m’empêchaient de tenir une routine adéquate pour gérer mon SOPK. J’étais constamment sur le qui-vive, dans un état permanent d’alarme et de stress. En semaine, je ne trouvais pas le temps pour privilégier une alimentation adaptée, ni pour faire du sport. Le week-end n’était qu’un contre-coup de ma semaine de travail. Mon sommeil n’était jamais reposant. La nature de mes obligations professionnelles alimentaient le feu qui me consumait et rendait toute amélioration de mon état impossible. J’expérimentais régulièrement des rechutes: épisodes d’acné, absence de cycles, états d’anxiété aigus, apathie, ou encore fringales incontrôlables.
Etre diagnostiquée SOPK vous rend plus attentive aux réactions du corps. Vous réalisez que vous fatiguez vite, que vous auriez bien eu besoin d’une petite sieste en milieu de journée pour reprendre des forces, que la semaine passée à manger sans conscience des plats à emporter devant votre ordinateur vous cause maintenant de vives douleurs digestives, que les deux semaines de travail intenses passées à la clôture d’un dossier ont eu raison de votre énergie et de votre routine sportive.
Les bonnes mesures que je prenais pendant les périodes d’accalmies, comme méditer avant de me rendre au travail, me rendre régulièrement au yoga ou préparer des repas cuisinés pour mon déjeuner, étaient tout simplement balayées à chaque “rush” d’activité.
Lorsque j’ai été arrêtée trois semaines pour une anémie sévère, j’ai réalisé que j’allais devoir, un jour ou l’autre, faire un choix: inverser mes symptômes ou poursuivre ma carrière d’avocat.
Pendant un temps, j’ai espéré pouvoir adapter mes fonctions professionnelles à la réalité de ma pathologie. Mais cela fut impossible à réaliser. J’étais parvenue à ralentir un peu le rythme et à créer un peu de distance avec ma vie professionnelle (je vous donne quelques pistes un peu plus bas dans cet article). Mais diminuer mes heures et réduire la pression qui pesait sur mes épaules n’était tout simplement pas compatible avec la nature du job.
J’ai fini par quitter la profession d’avocat car une belle opportunité s’est présentée à moi. J’ai pratiqué le droit en entreprise, où la pression est moins forte et le rythme plus humain.
La question que je souhaiterais poser ici est la suivante: est-il possible de dépasser le rejet pur et simple d’un déterminisme féminin pour embrasser l’ébauche d’une société qui composerait avec l’altérité même de la femme, sa réalité biologique et ses cycles?
4. SOPK tu seras
Etre l’égale de l’homme, très bien. Mais égale à quoi?
Tout d’abord, la performance, la rentabilité et le sacrifice de la vie privée au profit de la réussite professionnelle n’asservissent t’ils pas toutes les personnes, qu’elles soient hommes ou femmes?
Ensuite, les questions féministes d’IVG, IMG, cycle ovarien, fertilité, infertilité, maternité, post partum, ménopause, et plus généralement, de bien-être hormonal, sont des questions éminemment politiques qui, bien qu’elles soient essentiellement posées par des femmes, concernent la société toute entière et interrogent nécessairement sur la place que l’on donne à l’altérité entre les sexes au travail.
En avril 2021, une société coopérative a par exemple octroyé à ses employées un congé supplémentaire pour règles douloureuses, sans justificatif ni perte de salaire.
Au-delà de la condition féminine, ne devons-nous pas tendre vers une vision plus altruiste de la vie professionnelle au terme de laquelle composer avec une maladie chronique serait un droit ?
Le syndrome des ovaires polykystiques est une pathologie complexe qui touche près d’une femme sur sept en âge de procréer et constitue ainsi un véritable problème de santé publique. Ses implications cliniques sont multiples.
La femme SOPK est touchée dans ses fonctions reproductives (infertilité, hyperandrogénie, hirsutisme), métaboliques (résistance à l’insuline, intolérance au glucose, diabète de type 2, profils de risques cardiovasculaires défavorables), et dans ses fonctions psychologiques (anxiété, dépression et détérioration de la qualité de vie).
Parce que le stress est un facteur majeur dans l’expression des maladies chroniques et plus particulièrement, du syndrome des ovaires polykystiques, la remise en cause de nos modèles professionnels est un véritable enjeu pour notre santé.
Parce que le stress est en apparence bénin, nous ne pouvons en saisir la gravité réelle.
C’est pourquoi prendre le temps d’analyser notre situation professionnelle, et la façon dont elle impacte notre organisme (sommeil, anxiété, alimentation, sport, etc.) et le cas échéant, avoir le courage de faire les ajustements nécessaires pourrait s’avérer capital pour l’amélioration de nos symptômes.
Aujourd’hui, je peux affirmer sans sourciller que ma démission a complètement changé mon paradigme vis à vis du SOPK.
Je peux désormais implanter les changements indispensables à un maintien sous contrôle de mon SOPK, sans discontinuité ou interruption. J’ai perdu du poids, ma peau est claire, mes cycles se normalisent et cet état constant d’anxiété m’a quittée.
L’objet de cet article n’est pas de pointer du doigt la profession d’avocat. Bon nombre de fonctions peuvent s’avérer incompatibles avec un SOPK. Et ce qui sera vrai pour l’une ne sera pas nécessairement vrai pour l’autre.
En tout état de cause, il peut également être envisagé de modifier notre relation au travail plutôt que de le quitter.
En fondant Les Natives, j’ai eu l’ambition de donner aux femmes les informations et les outils dont elles besoin pour reprendre le contrôle de leur santé.
Article relatif: Guide pratique du SOPK (causes, symptômes, traitements)
Article relatif: Les principes d’une alimentation anti-SOPK
Mais au-delà de la modification de vos habitudes alimentaires et de votre mode de vie, inverser votre SOPK nécessitera d’évaluer votre façon de vivre dans sa globalité, afin de déterminer si des changements pourraient vous permettre d’aller plus loin dans le contrôle et l’inversion de vos symptômes. Nous passons le plus clair de notre temps au travail. Il est donc essentiel que ce dernier soit le plus compatible possible avec vos objectifs de santé.
Ce processus prendra peut-être du temps, et c’est tout à fait normal. Il m’a moi-même fallu deux années pour réaliser qu’un changement plus radical était nécessaire sur le plan professionnel. Surtout, soyez bienveillante envers vous-même.
Alors, quitter un travail pour vivre mieux: victoire ou défaite?
A bientôt sur le blog.
Clara
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